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Jour 380

Une heure, il me faut une heure avant d'avoir des idées à peu près construites, avant que cette douleur affreuse, immense, insoutenable ne s'envole comme par enchantement.

J'ai beaucoup de mal à bouger, comme si j'étais extrêmement engourdi, il me faut plusieurs minutes pour reprendre mes esprits, me situer, me rappeler. Tout est assez flou dans mon esprit, la Terre, Stycchia, Adama, le Congrès, l'attaque, le crash... Ça m'a l'air tellement vieux, combien de temps ai-je dormi ?

Il fait toujours nuit, je suis toujours assoiffé et affamé. Sarah est toujours dans son tube, Énavila est allongée à côté de moi. Elle a donc bougé, serait-ce elle qui m'a réveillé avec cette douleur ? Qui d'autre l'aurait pu ? Le vaisseau ? Sarah est toujours endormie, elle ne semble pas être sortie de son tube. Mon bracelet m'indique que nous sommes depuis 6 jours dans ce système, ce qui ferait 382 jours après mon départ de la Terre. Je ne sais d'ailleurs pas vraiment si ce décompte vaut encore la peine d'être tenu. La plupart des jours que j'ai compté n'étaient pas les mêmes que sur la Terre, et je n'avais pas réintégré dans mon bracelet un correctif avec les jours plus courts de Stycchia et ceux plus longs d'Adama. Dans le vaisseau Sarah m'a dit que nous étions sur Terre en juillet 2003, fin juillet cela donnerait dans les 180 jours depuis le 22 décembre, nous sommes restés deux sixièmes dans le vaisseau, soit 194 jours, 6 jours ici, soit 380 au total. Je cale mon bracelet sur à peu près 24 heures terrestres par jour et programme un calendrier automatique. Nous sommes donc en janvier 2004.

Une fois cette mise au point faite, je me lève difficilement, je suis à bout de force, et je n'ai guère plus de courage que d'allonger correctement Énavila en m'assurant qu'elle et toujours en vie, et

regarder si Sarah respire toujours. Je me rappuie contre une paroi, il semble que toutes forces m'aient quitté, j'ai bien peur de ne devoir mourir ici...

Janvier 2004, j'ai eu 27 ans, 28 dans six mois... Bah ! Qu'est-ce que ça peut bien dire désormais ! Je suis sans doute considéré mort là-bas depuis longtemps...

Je suis mort là-bas mais je n'ai pas envie de mourir ici... Sarah, Énavila, réveillez-vous !

Je me traîne difficilement jusqu'à Énavila. Je la secoue.

- Énavila ! Énavila !

Rien...

- Énavila...

Je me blottis finalement contre elle, j'ai froid, j'ai peur, je ne sais pas trop ce que j'ai, peut-être que j'aurai envie qu'elle se réveille et qu'elle me prenne dans ses bras.

Je dors une dizaine d'heures. C'est Sarah qui me réveille ; elle m'aide à me tirer dans le tube, elle tire aussi Énavila. Je me rendors sous les soins attentionnés du vaisseau, sans me poser guère plus de questions.

Jour 381

Je me réveille dix heures plus tard. Sarah est assise contre une paroi, Énavila dort. Elle me salue :

- Moy.

- Oto. Qu'est-ce qu'il se passe ici bon sang !

- Je ne comprends pas beaucoup plus. Quand je me suis réveillée vous étiez tous deux très mal en point, je vous ai tiré dans les tubes.

- Comment se fait-il que tu sois restée si longtemps dans ton tube ?

Elle reste silencieuse un instant.