dans la rue. Il doit être 18 heures passées, il fait encore grand jour et très chaud.
Les hommes se sont recouverts de leurs ponchos, masquant leurs couteaux et épées. Je suis tenu en respect par l'un d'eux qui maintient collé à mon bras droit, sous son poncho, un couteau prêt à trancher au moindre geste non conforme. J'aide tant bien que mal Erik à marcher en le soutenant sur mon épaule gauche. Il est lui-même accompagné à sa gauche par un autre homme. Deux autres se tiennent derrière nous, encore un accompagne Naoma devant, et la marche est dirigée par le sixième, qui avance avec quelques mètres d'avance sur nous, faisant office d'éclaireur.
Un petit car nous attend au coin de la rue, une personne se trouve déjà au volant. Nous montons, nous trois accompagnés des six hommes, et le véhicule démarre aussitôt. L'intérieur est composé de trois rangées de trois sièges, deux d'un côté et un de l'autre, terminé par une rangée de quatre sièges. Nous sommes chacun, Erik, Naoma et moi, assis sur le siège presque central, entourés de deux des hommes. Personne n'a dit un mot depuis le départ. Ces hommes sont étranges. Ils laissent dégager une impression dérangeante, quelque chose que je n'arrive pas à décrire. Le chauffeur lui est plus conforme à l'idée de baroudeur filou que l'on engage au forfait pour quelques mauvaises besognes.
J'ai du mal à supporter cette soumission, et à défaut de pouvoir physiquement leur tenir tête, étant bien trop faible, je tente d'engager la conversation avec le chauffeur.
- Il fait plutôt beau vous ne trouvez pas ? On va faire une balade ? Vous nous emmenez où comme ça ?
- À l'aérop...
Il est coupé par l'homme assis juste derrière lui qui lui fait signe de se taire. Naoma laisse échapper un cri de douleur. L'homme à mes côtés me soulève pour me forcer à me tourner et voir la lame du couteau du voisin de Naoma lui entailler légèrement le bras. Je serre le poing, je bouillonne de colère. L'homme à la gauche de Naoma le sent et il lui saisit le poignet et lui place un couteau sous la gorge. Elle est en plus plaquée contre le siège par l'homme à sa droite qui lui tord le bras droit. Il me fait un signe de la tête
signifiant sûrement qu'au moindre écart supplémentaire ils n'hésiteront pas. La peur qu'il lui fasse le moindre mal me fait redevenir raisonnable ; mais malgré mes tentatives de leur faire comprendre que je vais rester sage, ils laissent Naoma dans cette position très inconfortable pendant pratiquement tout le trajet.
L'aéroport de Melbourne est à une dizaine de kilomètres du centre, et nous devrons y être en moins de vingt minutes. Malheureusement nous nous rendons à un aéroport plus petit, sans doute pour les vols domestiques, "Avalon Airport", il nous faut sans doute presqu'une heure pour nous y rendre, le chauffeur conduit très doucement. Les contrôles sont inexistants et notre petite compagnie traverse rapidement l'aéroport pour se retrouver sur les pistes. Les six hommes, le chauffeur n'étant plus avec nous, nous dirigent jusqu'à un jet à bord duquel nous montons. Il y a une vingtaine de places et les hommes nous répartissent loin les uns des autres. Je me trouve au fond, je vois Naoma quelques sièges en avant et Erik juste derrière le poste de pilotage. S'ensuit une longue attente, où la parole nous est toujours interdite. Le pilote doit sans doute attendre l'autorisation de la tour de contrôle. Je n'ai toujours pas de montre mais plus d'une heure doit facilement s'écouler. Erik semble s'être assoupi, et je ne vais pas tarder à faire de même, nous sommes tous deux épuisés de notre journée. Naoma pleure en silence ; je vois sur ses joues couler des larmes. Mais elle ne dit rien, attendant patiemment. Je ne sais vraiment que faire, pas plus qu'où nous emmènent ces hommes. Mais je ne suis pas de taille. Erik est très mal en point et ne pourra pas m'aider, Naoma n'en a de toute évidence pas les moyens, et les miens sont tellement limités... Je suis contraint de prendre mon mal en patience, et le désespoir et la fatigue prennent petit à petit le dessus.
Nous décollons finalement, une heure ou deux plus tard, alors que la nuit tombe, et je prends la résolution de mettre à profit le vol pour récupérer des forces. Je meurs de soif, et l'atmosphère sèche de l'avion n'arrange pas les choses. Je baisse mon attention et tente de m'endormir. Il nous sera de toute façon difficile de mettre en oeuvre quoi que ce soit avant l'atterrissage. La décision prise je m'endors en quelques secondes, mon éveil ne tenant qu'à la tension que je m'imposais, mon corps mourant de fatigue.