Il finit petit à petit par avoir raison de moi en se lançant d'avant en arrière à plusieurs reprises contre le mur. À chaque coup je lâche un peu prise. Finalement il réussit à passer sa main entre la chaîne et sa gorge, et je sais qu'il a gagné. Il m'attrape de son autre main par l'arrière de mon col, se penche en avant et me lance par-dessus lui contre la voiture. Je heurte le montant de la portière arrière avec mon dos, la tête en bas, et me retiens tant bien que mal avec mes bras en tombant. Je glisse par terre au côté de Juan, toujours étendu à moitié à l'intérieur, et à moitié à l'extérieur.
Je remarque son pistolet, tombé au sol quand j'ai ouvert la portière.
La roue tourne, je m'empare de l'arme juste à côté de moi, sur le sol. Et alors même que mon agresseur se penche sur moi pour de nouveau m'attraper, je pointe le pistolet vers sa tête et tire. Je tire un total de cinq coups. Le recul et mon épaule blessée me faisant lever les bras à chaque coup, je revise sa tête pour tirer de nouveau. Il recule un peu plus à chaque. Cinq coups presque à bout portant. Il est finalement projeté en arrière, et je tire mon dernier coup alors qu'il a déjà la tête défigurée, le dos contre le mur en ruine. Il s'effondre.
Les coups résonnent dans ma tête. Je baisse les bras. Je baisse la tête. Je souffle. Je viens de tuer un homme. Je reste de nombreuses minutes assis y à repenser. Mais que pouvais-je faire d'autre ? Comment aurai-je pu l'éviter ?
Le monde revient. Les bruits reviennent. L'odeur de poudre et de sang. Le chaud et le froid. La douleur à mon épaule. Les gens au loin qui s'exclament. Je me dis que je dois partir. Que la police ou l'armée ne va pas tarder à venir, et que s'ils me trouvent avec Juan et ses hommes, je serais assimilé à un terroriste de son mouvement. Il faut tout d'abord que je me débarrasse de ces menottes. Je tente de placer la chaîne au sol et de viser avec le pistolet dans la main droite. Mais de si près j'ai peur de recevoir un éclat. De plus je n'ai plus très envie de me servir de cette arme. Je réfléchis quelques secondes, à un moyen, peut-être en utilisant les pierres écroulées du mur. Puis je réalise que Jamon ou Juan devaient avoir les clés sur eux. Je me relève alors difficilement. Toutes mes douleurs, dont je me jouais pendant mon combat, sont désormais plus que présentes et font
de chaque mouvement une épreuve. Je fouille les poches de Juan, sans succès. C'est dans les poches de jeans de Jamon que je trouve une clé. Non sans mal car il faut en effet que je le tire un peu pour le faire tourner. J'ai affreusement mal à l'épaule.
C'est bien la bonne clé. Je passe sans doute presque dix minutes avant de parvenir à me libérer. Je suis déjà un peu rassuré et je frotte de longs instants mes poignets meurtris. Je n'ai qu'une seule idée en tête, partir d'ici au plus vite. Je me relève, marche doucement. Je passe sur le côté de la camionnette bleue des autres amis de Juan. Tout le monde semble mort à l'intérieur. Je commence à me sentir mal, la nausée, tous ces cadavres, je me retourne à peine pour voir le carnage. Mais qu'est-ce qu'il m'arrive, mon Dieu ! Qu'est-ce qu'il m'arrive...
Je continue à avancer. Je marche en titubant vers une petite rue qui part à droite. Rue qui longe le bord de la maison en ruine, ou de l'immeuble, contre lequel gît désormais le grand gaillard qui m'a agressé. Je n'ai même pas la présence d'esprit d'aller le fouiller. Je marche en m'appuyant contre le mur. Ma progression est lente et entrecoupée de pauses. Après une dizaine de minutes, peut-être vingt, je suis au bout de la rue. Je débouche sur une allée un peu plus grande. Mais il n'y a aucune voiture. J'ai besoin de boire et de me nettoyer. Je tente d'interpeller de rares personnes qui passent par là, mais celles-ci s'éloignent, apeurées.
Finalement après quelque temps à boiter, sans personne pour me venir en aide, et sentant mes forces me quitter, je décide de tenter de rentrer dans une maison. Mais toutes les portes sont fermées. Il me faut quelques minutes, voire dizaines de minutes, avant de trouver une porte non verrouillée. Je rentre à l'intérieur. Un femme apeurée apparaît de la pièce voisine. Elle disparaît puis réapparaît avec un couteau de cuisine et me menace. Je tombe à genoux devant elle. Elle voit que je suis à bout de forces mais me crie de sortir, de partir de chez elle. Je cherche alors dans mes poches où se trouve mon argent. J'en sors un billet de cent dollars et lui tends. Je ne sais pas trop ce que j'espère. Je ne sais pas trop à ce moment-là si je pense que l'argent est un moyen d'obtenir ce que je veux. Je ne crois pas que je veuille l'acheter. Je crois juste que je n'ai pas la force